Guillaume de Durat : déserts médicaux et arrivée de la 5G

Interview

Guillaume de Durat : déserts médicaux et arrivée de la 5G

Consultant en santé et organisateur de l’Université des déserts médicaux et numériques

31 octobre 2018

Devenez, à votre échelle, acteur du changement ?

Vos idées nous intéressent, votre opinion nous importe et votre point de vue est essentiel.

Proposez votre contenu

Deserts-médicaux-
     
     
Guillaume de Durat, consultant en santé et organisateur de l’Université des déserts médicaux et numériques, revient sur ce sujet symptomatique d’une France à deux vitesses.

À l’issue du Grand Débat organisé par le gouvernement, la lutte contre les déserts médicaux fait partie des principaux thèmes mis en avant par les Français. Guillaume de Durat, consultant en santé et organisateur de l’Université des déserts médicaux et numériques, dont la seconde édition se tiendra les 20 et 21 septembre 2019 à Auzon dans la Nièvre, revient sur ce sujet symptomatique d’une France à deux vitesses.

Depuis une trentaine d’années, les différents gouvernements n’ont pas su anticiper l’évolution des professions de santé. En diminuant l’accès aux services publics dans certains territoires et en ne menant pas de politiques incitatives pour l’établissement des médecins dans ces mêmes territoires, ils n’ont fait qu’aggraver la situation

Quel état des lieux peut-on faire aujourd’hui des déserts médicaux en France ?

Guillaume de Durat. Tout le monde parle des déserts médicaux, mais aucune définition claire n’existe. On imagine des territoires ruraux et des banlieues en périphérie des grandes villes. Mais les déserts médicaux existent aussi dans certains centres-villes où le nombre de généralistes ne cessent de baisser, où les plages horaires de consultation diminuent et où le prix des loyers peut dissuader les praticiens. On oublie aussi trop souvent les prisons qui peuvent être parfois de véritables déserts médicaux. Globalement, il n’y a pas de chiffres fiables sur le nombre de Français concernés par ce problème. Les estimations vont de 5 à 12 millions de personnes. C’est de toute façon considérable. La question s’est d’ailleurs invitée dans le Grand Débat organisé par le gouvernement. C’est une vraie préoccupation des Français.

Quelles sont les raisons qui font que certains territoires sont à ce point délaissés ?

G. de D. Depuis une trentaine d’années, les différents gouvernements n’ont pas su anticiper l’évolution des professions de santé. En diminuant l’accès aux services publics dans certains territoires et en ne menant pas de politiques incitatives pour l’établissement des médecins dans ces mêmes territoires, ils n’ont fait qu’aggraver la situation. En fait, la question du numerus clausus n’est pas centrale pour expliquer le développement des déserts médicaux. Nous avons assez de médecins en France. C’est leur mauvaise répartition sur le territoire qui est problématique. C’est aussi le moindre attrait des étudiants pour la médecine généraliste. Ils préfèrent les voies de spécialisation, la chirurgie, plus prestigieuses et plus rémunératrices. Enfin, il existe une profonde méconnaissance pour ne pas dire de tenaces idées reçues sur l’exercice de la médecine dans les territoires éloignés des grandes métropoles.

Quel est l’impact de l’inégalité du maillage numérique en France sur les prestations médicales ?

G. de D. Des collectivités multiplient les tentatives pour attirer des professionnels de santé avec des équipements offerts, des subventions, des prêts aidés… Mais c’est d’autant plus difficile pour elles quand, sur leur territoire, elles ont des problèmes de connexion à internet. Dès lors, les promesses de l’e-santé avec ses applications et objets connectés et avec la télémédecine pour répondre aux besoins des déserts médicaux s’envolent en fumée quand vous vous situez dans une zone grise voire blanche en termes de couverture internet. Du coup, c’est la double peine pour ces territoires ! D’ailleurs, sans surprise, quand on superpose les deux cartes, celle des déserts médicaux et celle de l’inaccessibilité à internet, elles se recoupent pour l’essentiel.

Les opérateurs ont-ils leur part de responsabilité ?

G. de D. L’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) n’a pas de pouvoir de coercition. Les opérateurs assurent couvrir 98 à 99% de la population… de la population peut-être, mais pas du territoire qui compte encore de nombreuses zones grises et blanches. Dans ces zones, les collectivités n’ont donc pas les moyens techniques d’installer par exemple des cabines de télémédecine ou des outils de santé connectés d’automesure, de surveillance ou de prévention à domicile et à distance qui seraient pourtant d’une grande utilité sur ces territoires isolés. Plus largement, ces problèmes de connexion ne permettent pas de développer la formation continue pour les médecins et les pharmaciens, d’accéder à l’information médicale pour le grand public (les sites les plus documentés comme santé.fr ou ameli.fr ont des pages trop lourdes…), d’utiliser le Dossier Médical Partagé ou encore de faciliter le tiers-payant.

Concrètement, en quoi l’e-santé peut contribuer à résorber cette fracture territoriale en matière d’accès aux soins ?

G. de D. Dans un monde idéal et connecté, l’e-santé doit permettre d’accéder à un médecin ou à tout autre professionnel de santé où que l’on soit grâce à la télémédecine. Des permanences de soins quelle que soit la spécialité peuvent sensiblement améliorer la couverture médicale. Et pour reparler des prisons, l’e-santé peut accroître la sécurité et baisser les coûts en évitant le nombre de déplacements à l’hôpital des détenus.

Les premières applications sur le terrain de l’e-santé ont-elles été concluantes ?

G. de D. La CNAM vient de publier un premier bilan sur la période septembre 2018-mars 2019. Au total, près de 8000 actes de télémédecine ont été remboursés. On est bien loin des 500 000 que prévoit le gouvernement pour l’année 2019. Quels en sont les causes ? S’agit-il d’un problème de connexion à internet ou d’une question de comportement ?

Comment expliquer que les MSP (Maison de santé pluri-professionnelles) et le CPTS (Communautés professionnelles territoriales de santé) n’ont pas encore réussi à répondre aux besoins des déserts médicaux ?

G. de D. Dans ce pays, on a l’habitude de construire les murs sans anticiper ce qu’on va en faire. On se retrouve ainsi avec des MSP sans connexion internet et dont les espaces ne sont pas adaptés aux besoins des praticiens qui les occuperont. Quant au CPTS, c’est encore un peu tôt pour se prononcer. Mais l’idée d’un travail interdisciplinaire sur l’ensemble d’un territoire est une bonne chose.

Vous organisez depuis 2017 l’Université des déserts médicaux et numériques. Quel bilan tirez-vous de cette initiative ?

G. de D. Après 2017, je n’avais pas prévu de faire une seconde édition. Je l’organise pourtant en septembre prochain car on me l’a demandé. De fait, la situation n’a guère évolué depuis deux ans. Avec l’arrivée de la 5G [les premiers forfaits 5G devraient être commercialisés en France dès 2020], nous voyons là une opportunité de redistribuer les cartes, si possible au profit justement des déserts médicaux. L’Arcep et les pouvoirs publics vont devoir inciter les opérateurs à élargir leur couverture à cette occasion. Par ailleurs, lors de cet événement, nous aborderons aussi la question du déploiement de la fibre optique et nous ferons un état des lieux des établissements de santé connectés mais aussi interopérables entre eux. Mais ce qui manque, c’est une politique nationale globale. Or c’est plutôt à une concurrence entre territoires à laquelle nous assistons, aux dépens des collectivités les moins dotées financièrement.

Guillaume de Durat

Consultant en santé et organisateur de l’Université des déserts médicaux et numériques.