L’intrapreneuriat fait des émules

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L’intrapreneuriat fait des émules

24 juin 2019

Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à encourager et accompagner les salariés porteurs d’un projet d’affaires innovant, viable et rentable qu’ils déploieront à l’intérieur de leur organisation. Elles créent des plateformes d’appels à projets, sélectionnent les dossiers et forment les heureux élus. Objectif : accroître leur chiffre d’affaires, fidéliser et motiver les troupes, attirer les talents ou transformer la culture de l’entreprise.

Un nouveau type de salariés se développe en France : les intrapreneurs. Créatifs, avides de nouveauté, altruistes, idéalistes, ils innovent en lançant, au sein de leur entreprise, une offre, un service ou un produit doté d’un modèle économique propre. Ils le font en cassant les codes, les habitudes internes ou en défrichant de nouveaux territoires. D’où ce nom de "corporate hacker" qui leur colle à la peau mais qui traduit mal leur raison d’être : ils n’agissent pas contre l’entreprise ; ils font bouger les lignes avec et pour elle.

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Le phénomène est apparu en France au début des années 2000, sous forme d’expérimentations dans quelques grands groupes des secteurs des télécoms, de la banque et de l’industrie. Emmanuel de Lutzel a montré la voie. Entré chez BNP Paribas en 1997, il est responsable marketing et communication du "cash management" quand il propose au comité exécutif de sa banque de se lancer dans la microfinance. Nous sommes en 2006, l’année où Muhammad Yunus reçoit le prix Nobel de la paix pour son établissement spécialisé en microcrédit, la Grameen Bank.

La fibre sociale d’Emmanuel de Lutzel, salarié engagé auprès d’ONG et bénévole au sein de l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique) va lui donner des ailes. Tout comme son expertise en communication. "Il faut savoir synthétiser son projet et le raconter pour convaincre. Le plus difficile est en effet de trouver des soutiens en interne", explique-t-il. Elaborer un business plan est une autre figure imposée. "L’objectif de mon projet n’était pas de faire du mécénat mais du financement d’institutions de microfinance. C’était un sujet business mais avec un objectif social", raconte-t-il. Une approche d’entrepreneur qui va lui ouvrir des portes. Aujourd’hui, l’activité microfinance de BNP Parisbas a pris son envol. Déployée dans une vingtaine de pays, elle touche 358 000 bénéficiaires pour des crédits octroyés de 296 M€.

Profil atypique, Emmanuel de Lutzel a éprouvé le besoin de rencontrer et d’échanger avec d’autres salariés entrepreneurs. En 2005, il publie aux éditions Rue de l’échiquer le guide de l’intrapreneur social avec un titre en forme d’appel "Transformez votre entreprise de l’intérieur !". L’ouvrage dresse 22 portraits d’intrapreneurs dont ceux de Nicolas Cordier de Leroy Merlin et d’Agnès Weil du Club Med. Des défricheurs qui ont dû, bien souvent, batailler pour déployer en interne leur projet. Des pionniers d’une époque aujourd’hui révolue.

Autre temps, autres mœurs. Dans la plupart des grandes entreprises, dont BNP Paribas, l’intrapreneuriat est désormais encouragé et accompagné. Il fait l’objet de programmes spécifiques avec appel à projets, sélection de dossiers et formation des heureux élus. Leur nombre est en constante augmentation. "Depuis trois ans l’intrapreneuriat se développe fortement en France", reconnaît Dominique Van Deth, consultant indépendant et mentor à l’Academy for Corporate Entrepreneurship. 

Raphaël Thobie, cofondateur de la startup CreateRocks, en a fait le cœur de son activité. Il est l’auteur d’un tableau publié par Les Echos start en mai 2019 (1) listant les entreprises ayant lancé, en France, des programmes d’intrapreneuriat, soit une cinquantaine au total. La diversité est de mise. Ainsi, à la SNCF, l’intrapreneuriat se conjugue exclusivement au féminin alors que chez BNP Paribas il vise exclusivement, depuis 2017, des projets à visée sociale et environnementale.

Le document recense également les nombreux prestataires qui se sont lancés sur ce marché florissant (plateforme digitale d’appels à projets, programmes clef en main, offre de formation…). Là-encore, les approches sont spécifiques. Corporate for Change, par exemple, ne traite que de projets d’entreprise liés à la RSE quand l’incubateur Willa (ex Paris Pionnière) n’accompagne que les intrapreneuses. "Les entreprises cherchent aujourd’hui à accompagner les femmes à la traîne en matière d’innovation et de nouvelles technologies. Elles ne représentent que 10% des fondateurs de startups", rappelle Sylvia Garzon, co-directrice des programmes chez Willa.

Comment expliquer cet engouement pour l’intrapreneuriat ? Pour les entreprises, les besoins d’innovation n’ont jamais été aussi criants. Bousculées par la révolution digitale, elles doivent se réinventer pour mieux s’adapter à des marchés et un monde en profonde mutation.

"L’entreprise s’est d’abord rapprochée des startups pour innover en dehors des centres de recherche et de développement. Mais force est de constater que ces mariages sont plutôt affaire de communication que de business. Elles en reviennent en découvrant qu’il est moins cher et plus efficace de mobiliser les salariés en interne", analyse Dominique Van Deth.

Autres avantages : l’intrapreneuriat motive et fidélise les salariés les plus anciens tout en attirant les jeunes recrues. Ainsi, selon une étude d’Allianz France-Ifop publiée le 14 mai 2019, 67% des étudiants déclarent qu’ils seront sensibles, au moment de chercher un emploi, aux entreprises proposant une démarche d’intrapreneuriat.

Enfin, l’intrapreneuriat est un bon moyen de transformer les organisations. "Nous ne sélectionnons que douze projets sur les 140 recueillis suite à notre appel à idées, mais nous savons qu’un intrapreneur échange avec une centaine de collaborateurs. Il contribue donc à sensibiliser le groupe aux enjeux sociaux et environnementaux. C’est une acculturation collective", explique Anne-Amandine Jalon, responsable du programme d’intrapreneuriat People’sLab4Good de BNP Paribas. Quand il regagne son poste, l’intrapreneur peut également diffuser un nouvel état d’esprit dans son service. "J’ai changé mes méthodes de travail suite à ma formation", reconnaît Frédéric Auregan, jeune intrapreneur de 54 ans en poste chez BNP Paribas (voir portrait). J’ai appris à travailler plus vite et à déléguer davantage. Je vais à l’essentiel".

Reste que la greffe de ces individus autonomes formés aux méthodes agiles n’est pas toujours évidente au sein d’entreprises encore largement pyramidales. "Les enjeux d’ego et de pouvoir représentent des freins importants pour ces électrons libres", reconnaît Jonas Guyot, co-fondateur de Corporate for Change. Le retour sous les ordres d’un manager à l’ancienne peut être mal vécu. "Globalement, les managers n’apprécient pas d’avoir dans leurs équipes un salarié moins disponible qui consacre une partie de son temps à son projet. Cela crée des tensions, des conflits. Nous avons mis en place des ateliers pour qu’ils comprennent et soutiennent cette démarche. Ce n’est pas évident mais on y travaille", ajoute Anne-Amandine Jalon.

Une fois son idée lancée et testée, l’intrapreneur fait également face à une multitude de questions : qui va développer son projet ? Va-t-il s’y consacrer à 100 % ? À qui appartient l’idée ? Et quid du salarié dont l’idée n’est pas retenue ou déployée ? De nouvelles questions qui agitent aujourd’hui les collaborateurs et les professionnels des ressources humaines et qui ne peuvent trouver de réponses qu’au cas par cas.