Emplois non pourvus - Derrière le paradoxe...

Devenez, à votre échelle, acteur du changement ?

Vos idées nous intéressent, votre opinion nous importe et votre point de vue est essentiel.

Proposez votre contenu

Emplois non pourvus - Derrière le paradoxe...

26 novembre 2018

Dans un contexte de chômage de masse, les difficultés de recrutement que peuvent rencontrer les entreprises résonnent comme un paradoxe, sinon une aberration. Mais que recouvre réellement le phénomène des emplois non pourvus ?

"Je traverse la rue, je vous trouve un emploi". Lancée en septembre 2018 par le Président de la République française Emmanuel Macron à l’adresse d’un jeune chômeur qui l’alertait sur sa difficulté à trouver du travail, la formule avait vite fait le buzz, ravivant une antienne du débat public hexagonal : en France, il y a beaucoup de personnes sans emploi, mais il y a également beaucoup d’emplois en déshérence.

Mais qu’en est-il exactement ? Pour dépassionner le propos, il convient tout d’abord de différencier “emplois non pourvus” et “emplois vacants”. Les premiers, tels que définis par Pôle emploi, recouvrent les offres abandonnées faute de candidats – en tout cas de profils correspondant aux attentes des employeurs. Quant aux emplois vacants, ils désignent selon Eurostat les postes libres (nouvellement créés ou inoccupés) ou encore occupés mais sur le point de se libérer, pour lesquels les employeurs sont en recherche active des candidats adéquats. «On associe emploi vacant et chômage. Or, ils évoluent en sens contraire. Un fort taux de vacance peut signifier que beaucoup d’emplois se créent», rappelle Hadrien Clouet, Doctorant au Centre de sociologie des organisations (Centre national de la recherche scientifique – Sciences Po).

Entre 200 000 et 330 000 emplois non pourvus

Que disent les chiffres ? Sur les 3,2 millions d’offres déposées auprès des services de Pôle emploi, 2,9 millions sont pourvues. La moitié des 300 000 offres non pourvues sont abandonnés faute de candidat adéquat, soit 4,7% du total des offres déposées. Si on extrapole ces données à l’échelle d’une réalité nationale – la part de marché de Pôle emploi se limitant à environ 40% des recrutements de plus d’un mois -, il apparaît que le volume de projets de recrutement abandonnés faute de candidats se situe entre 200 000 et 330 000.

"Il faut considérer le poids du phénomène au regard des plus de 20 millions de contrats signés chaque année", relativise Bruno Ducoudré, économiste au département analyse et prévision de l’OFCE.

Pour autant, les difficultés de recrutement constituent une réalité. L’enquête annuelle Besoins en main-d’œuvre (BMO) de Pôle emploi montre même qu’elles ont augmenté de 37,5 % à 44,4 % entre 2017 et 2018, atteignant leur plus haut niveau depuis dix ans. Les besoins du marché de l’emploi concernent des profils divers, du niveau CAP à bac+5, dans de nombreux secteurs : BTP, industrie, hôtellerie-restauration, services aux particuliers et aux entreprises, transports, santé et numérique.

23,4 % de salariés sous-qualifiés

Première cause structurelle généralement avancée pour expliquer l’emploi non pourvu : l’inadéquation (réelle ou ressentie) entre les compétences attendues par les recruteurs et celles disponibles. "La France affiche l’un des taux de sous-qualification les plus élevés en Europe : 23,4 % des salariés sont sous-qualifiés par rapport à leur métier, contre 11,7 % en situation de surqualification", analyse Glenda Quintini, économiste à l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE).

Côté formation professionnelle, seuls 36 % des adultes français ont pris part à une formation dans l’année passée, quand leur proportion dépasse 60 % dans nombre de pays. "La participation aux programmes de formation est particulièrement réduite parmi les personnes à faible niveau de compétences (17 %)", précise Stéphane Carcillo, économiste à l’OCDE. 

Deuxième cause structurelle pour expliquer l’emploi non pourvu : le déficit d’attractivité, généralement associé au métier, du fait de caractéristiques objectives (conditions de travail difficiles, horaires atypiques, etc.) ou subjectives (manque d’information, image négative du métier ou du secteur).

À ces deux grandes causes structurelles et transversales, il faut ajouter une dimension plus “culturelle” : la difficulté des plus petites entreprises à organiser et gérer leurs recrutements. "Le taux d’abandons est deux fois et demi plus élevé pour les entreprises employant moins de 10 personnes par rapport aux grandes entreprises", note Stéphane Ducatez, Directeur des statistiques, des études et de l’évaluation au sein de la Direction générale de Pôle emploi. 

Mais la mauvaise articulation entre offre et demande interroge peut-être surtout le système même de l’emploi en France : un système en partie grippé par certaines rigidités de fonctionnement et par la conflictualité du dialogue social.