Richard Thaler, trublion de la théorie économique

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Richard Thaler, trublion de la théorie économique

23 février 2022

Prix Nobel d’économie 2017, l’Américain Richard Thaler est un des théoriciens de l’économie comportementale. En travaillant sur l’importance des biais humains dans les processus de décision, il a mis à mal le sacro-saint Homo Economicus et sa soi-disant rationalité.

À ses débuts comme enseignant, Richard Thaler essuya les critiques de ses étudiants qui jugeaient son examen trop difficile, la moyenne générale culminant à 72 sur 100. L’année suivante, le jeune professeur d’économie releva le total des points à 137, mais sans modifier sa façon de noter. Avec une moyenne de 96 sur 137, soit 70 sur 100 (moins que l’année précédente), les étudiants semblèrent satisfaits, la notation moyenne de 96 était de fait plus proche de 100…

Un comportement irrationnel qui résume toute la pensée de l’économiste américain Richard Thaler, prix Nobel d’économie 2017. L’anecdote, tirée de son ouvrage "Misbehaving : The Making of Behavioural Economics" (W. W. Norton & Company – 2015), est une des multiples illustrations de la théorie de l’économie comportementale dont il fut l’un des théoriciens avec Herbert Simon, Daniel Kahneman ou encore Robert Shiller, tous trois également distingués par la célèbre académie suédoise. L’idée de l’économie comportementale est simple : l’Homo Economicus n’est rien moins que rationnel.

Jetant "un pont entre les analyses économiques et psychologiques dans la prise de décision individuelle", selon les termes des membres du Prix Nobel, les contributions de Richard Thaler ont permis d’identifier les biais humains dans la prise de décision. De la comptabilité mentale (ou "mental accounting") qui compartimente les problèmes et leur résolution sans considérer les choses dans leur globalité à l’effet de dotation (ou "endowment") qui fait qu’une personne attribue une valeur différente au même objet selon qu’il lui appartient ou qu’il souhaite l’acheter, en passant par la dualité planificateur-faiseur (ou « planner/doer »), qui arbitre entre les effets à long terme de son choix ou sa satisfaction immédiate, les biais cognitifs sont capables d’expliquer bien des incohérences.

Le "nudge" ou la méthode douce

Les phénomènes de bulles financières sont emblématiques de ces incohérences. Selon la théorie développée par Richard Thaler les individus sont tentés de prendre des risques quand ils ont déjà gagné de l’argent, alors qu’ils se montrent bien plus prudents après avoir subi des pertes. Autre application des recherches du Prix Nobel : le nudge ("coup de pouce" en français). Également appelé "paternalisme libertarien", le principe consiste à vous pousser à faire le bon choix en s’appuyant sur vos biais de raisonnement. Exemple : si l’on a le choix à l’avance de lier automatiquement son taux d’épargne à l’évolution de son revenu (tout en sachant que l’on peut changer d’avis à tout moment), on accroît bien plus son épargne que si on devait faire ce choix au gré de ses rentrées d’argent. De même, en mettant les fruits en avant à la cantine et les sucreries derrière, les gens ont tendance à mieux manger.

Enseignant depuis plus de vingt ans à l’université de Chicago, Richard Thaler fait donc figure d’iconoclaste dans ce temple de la théorie économique monétariste et libérale où la main invisible du marché est censée régir le monde économique de façon rationnelle. Cheveux en bataille et paresseux assumé, toujours prompt aux facéties, à 72 ans, Richard Thaler n’a rien de l’économiste austère : après avoir touché les 9 millions de couronnes suédoises (944 000 euros) accompagnant l’obtention de son Prix Nobel, il s’est ainsi promis d’essayer "de dépenser son prix de la façon la plus irrationnelle possible".