Jeunes geeks et start-up à succès, la fin d’une fiction

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Jeunes geeks et start-up à succès, la fin d’une fiction

30 septembre 2019

De Bill Gates à Mark Zuckerberg en passant par Steve Jobs et Jeff Bezos, l’imagerie entrepreneuriale du Web a fixé dans les esprits la figure du jeune geek post adolescent génial qui a changé le monde du fond de son garage ou de sa chambre d’étudiant. Le tableau ainsi brossé est attrayant et ô combien médiatique ! Les entrepreneurs récompensés ces dernières années par TechCrunch, site d’information américain spécialisé dans l’actualité des startups Internet, n’avaient-ils pas 31 ans d’âge moyen lors de la création de leur entreprise ? Un constat partagé qui a fait dire à Paul Graham, le cofondateur de l’accélérateur américain de start-up Y Combinator : "Dans la tête des investisseurs, l’âge limite est de 32 ans. Au-delà, ils commencent à être sceptiques".

Pourtant la réalité est tout autre. Au-delà des cas emblématiques notamment issus de la Silicon Valley, les fondateurs de start-up qui réussissent le mieux n’ont pas une vingtaine d’années. C’est ce qui ressort d’une enquête américaine publiée en 2018 par les chercheurs Pierre Azoulay, Benjamin Jones, J. Daniel Kim et Javier Miranda. "À travers cette étude, nous souhaitions vérifier si les perceptions du grand public et des décideurs étaient alignées sur les données réelles observables", confie à OCM Pierre Azoulay.

La valeur attend bien le nombre des années

Or en analysant les données du Bureau de recensement des États-Unis de 2007 à 2014, Pierre Azoulay et ses collègues ont constaté que l’âge moyen des entrepreneurs au moment de fonder leur société était en fait de 42 ans. Et plus étonnant encore, en se focalisant sur les fondateurs des 0,1 % de start-up high-tech qui se sont développées le plus rapidement durant leurs cinq premières années, les chercheurs ont observé qu’ils avaient en moyenne 45 ans quand ils se sont lancés. En somme, plus l’entreprise réussit plus l’âge moyen de son fondateur augmente.

Mais comment expliquer cette réalité bien éloignée des idées reçues ? Sur ce point, Pierre Azoulay reste prudent : « Notre étude qui établit simplement une corrélation entre âge et succès n’apporte pas de réponses sur les raisons de ce constat. Nous nous garderons bien d’extrapoler ou d’essayer d’interpréter ces données ». Toutefois dans une tribune publiée dans la Harvard Business Review en octobre 2018, le professeur de la MIT Sloan School of Management à Cambridge (États-Unis) soulignait que « l’expérience professionnelle joue un rôle essentiel : les fondateurs qui ont au moins trois ans d’expérience professionnelle dans le même secteur (…) que celui de leur entreprise ont 85% de chance en plus de lancer une start-up à succès que ceux qui n’ont aucune expérience pertinente ». Une évidence ? Manifestement minorée…

Préjugés et… pragmatisme

Le mythe du jeune entrepreneur s’écroule d’autant plus quand Pierre Azoulay rappelle que "lorsqu’on étudie les plus connus d’entre eux, tels que Bill Gates, Steve Jobs, Jeff Bezos, Sergey Brin ou Larry Page, on remarque que le taux de croissance de leurs entreprises en termes de capitalisation boursière est parvenu à son apogée au moment où eux-mêmes atteignaient un âge moyen. Ainsi, Apple a lancé son innovation la plus lucrative – l’iPhone – quand Steve Jobs avait 52 ans".

Pour autant, la réalité des faits ne semble guère infléchir les choix des fonds d’investissement qui ont toujours tendance à miser sur de jeunes entrepreneurs. À l’origine de cette erreur de jugement, un préjugé : la jeunesse est gage du succès entrepreneurial. Mais aussi un calcul, lui, plus pragmatique : "les jeunes créateurs d’entreprise sont plus susceptibles d’être contraints d’un point de vue financier que les plus expérimentés, les rendant plus enclins à céder davantage de parts dans leur société à un moindre prix".

De là à penser que l’avantage des fondateurs d’âge moyen par rapport aux plus jeunes tient à un accès plus aisé à des ressources financières et à des réseaux plus denses… seule une étude complémentaire à celle menée par la MIT Sloan School of Management pourrait le confirmer. Mais à ce stade une chose est sûre, avoir plus de 40 ans est loin d’être un handicap pour se lancer et surtout réussir un projet entrepreneurial, pas même dans le monde de la high-tech.