La richesse des impertinents et des "ingérables"

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La richesse des impertinents et des "ingérables"

23 septembre 2022

Parce qu’ils sortent du cadre et osent contredire, les profils atypiques sont classiquement mis à l’écart, jugés ingérables et néfastes pour l’organisation. Dans une ère caractérisée par l’imprévisible, ces collaborateurs peuvent être de précieux atouts pour l’entreprise qui doit sans cesse se réinventer.

Il fut un temps dans les entreprises où, comme à l’armée, on se débarrassait des gens qui ne marchaient pas droit et sortaient du rang, considérés comme indisciplinés, fauteurs de troubles, personnalités ingérables. La roue a tourné. L’entreprise découvre qu’un collaborateur au profil atypique peut être très précieux pour vivre les changements de donne parfois déconcertants dans un monde où "l’imprévisible devient la norme" écrit Sandrine Rampont dans le livre sur les hauts potentiels qu’elle a publié juste avant le séisme sanitaire et économique provoqué par le Coronavirus.
Même sans cette dimension sanitaire, les cartes du travail sont constamment rebattues par la "révolution numérique" qui fait de l’humain l’atout maître de l’entreprise. Sans vision stratégique, sans créativité, sans capacité de penser en dehors des cadres, l’entreprise même dotée des dernières technologies numériques avance comme une aveugle sur le chemin. C’est pour cela qu’elle a intérêt à s’appuyer aussi sur les profils atypiques, disent chacune à leur façon Sandrine Rampont en parlant des hauts potentiels "ingérables" et Emmanuelle Joseph Dailly, qui elle s’est intéressée aux "impertinents raisonnés".

Voir l’angle mort

C’est parce que les entreprises en ont besoin pour relever les défis auxquels ils doivent faire face, dit Sandrine Rampont, que les hauts potentiels sont à la mode, même s’il dérangent. Ils peuvent sortir du cadre imparti, exprimer des opinions divergentes, contester des décisions. Ils cumulent souvent une puissance intellectuelle avec une grande sensibilité et beaucoup d’intuition. Ils sont brillants, et déconcertants. Si l’entreprise apprend à travailler avec eux et s’ils parviennent eux mêmes à trouver leur place dans l’équipe, les hauts potentiels peuvent être très bénéfiques. "Pour rester leader dans un monde digital, sortir des sentiers battus est le seul moyen d’anticiper l’évolution des métiers, processus et modes de travail" écrit Sandrine Rampont.
Les profils atypiques apportent de la fraîcheur, du renouveau, ils savent voir l’angle mort et permettent de sortir du cadre estime pour sa part Emmanuelle Joseph Dailly. A rebours du conformisme social, les impertinents peuvent être très utiles pour l’entreprise en affirmant, comme dans le conte d ‘Andersen, que "le roi est nu". Leur créativité est précieuse quand on sait que seuls 4 % des adultes ont gardé cette qualité enfantine, dit l’anthropologue.

Contredire en restant en lien

Les qualités et compétences des profils atypiques, « ingérables » et « impertinents », ne sont toutefois pas suffisantes pour permettre à l’entreprise de mieux relever ses défis.
Les hauts potentiels sont définis par Sandrine Rampont comme les personnes possédant des formes d’intelligence extrêmes, avec un quotient intellectuel situé au-delà de 130. Enfants, ces gens brillants auraient pu être qualifiées d’intellectuellement précoce. Mais leurs compétences ne leurs sont de peu d’utilité si elles n’ont pas suffisamment d’intelligence émotionnelle pour travailler avec les autres, écrit Sandrine Rampont.
La qualité de la relation aux autres est aussi décisive pour les collaborateurs impertinents estime  Emmanuelle Joseph Dailly pour qui la "bonne" impertinence dans la communauté de travail est l’ "impertinence raisonnée" qu’elle définit comme un esprit de contradiction, une hardiesse exprimés avec le souci de "rester en lien avec l’autre", le collègue, le manager, qui doit toujours "se sentir dans l’esprit de construction". "L’élégance de l’impertinence, ajoute l’anthropologue c’est donner à l’autre la conscience qu’il est écouté". Si le souci du lien manque, alors l’impertinence n’est que de l’effronterie.

Ce n’est pas parce que l’on a un haut potentiel intellectuel que l’on a un haut potentiel émotionnel glisse Emmanuelle Joseph Dailly, rejointe en cela par Sandrine Rampont : le potentiel intellectuel n’est efficace que si niveau d’intelligence émotionnelle est suffisant, et là, souvent le bât blesse.
C’est pour cela qu’un travail sur l’intelligence émotionnelle, avec les profils atypiques, peut être profitable pour l’organisation comme pour les "ingérables" et les "impertinents".

Pas simple d’être classé du côté des collaborateurs "hors normes", d’exprimer des points de vue non orthodoxes qui viennent contrer les dogmes des managers, les idées arrêtées des collègues de l’équipe. Pas simple non plus d’assumer sa part d’impertinence tant la liberté d’oser, de contredire, est limitée par notre formation, notre culture dit Emmanuelle Joseph Dailly. L’éducation devrait nous pousser dans ce sens, mais elle est plus soucieuse de nous apprendre à lever le doigt, à parler avec à-propos, ne pas laisser son esprit vagabonder, se perdre, changer de direction… Pourtant les neurosciences montrent qu’il est fondamental pour la pensée raisonnée de laisser son esprit vagabonder juge Emmanuelle Joseph Dailly.

L’entreprise a sa part de responsabilité dans la façon d’intégrer ces profils "ingérables" mais nécessaires. Elle doit faire face à une contradiction : sa double demande de disruption et de créativité d’un côté, et d’harmonie de l’autre. A trop vouloir maintenir cette harmonie, à donner la priorité au consensus elle casse les formes de débats trop abrupts, écrase dans l’œuf la contradiction et finalement impose une forme de silence. Pour éviter cet écueil, il est nécessaire au sein de l’organisation, côté manager et côté "impertinent", d’apprendre à gérer positivement les désaccords, avec assurance et sans toucher à la personne, avec le souci de vivre la contradiction sans abîmer la relation. Moins simple qu’il ne paraît.